Livres Off 2020 : une rétrospective pour refermer l'année de la Covid

Publié le mercredi 30 décembre 2020

Nuits de Chine, nuits Covid ou les nouvelles cartes du monde

La crise précédente de 2008 a duré plus de dix ans et nous subissons encore ces effets. La crise sanitaire de 2020 qui promet la pire récession que connait le monde depuis les années 1930 aura quel terme et surtout quels effets ? Les douze livres que nous proposons ici, même pensés et écrits avant que ne soient connus tous ces effets, peuvent éclairer le chemin. A suivre…

L’ouvrage qui inaugure l’année aurait dû faire partie de la sélection de l’an passé ! Paru en août 2019, acheté quelques temps après mais lu (beaucoup) plus tard, il faut rattraper le coup. C’est aussi un ouvrage atypique – un roman graphique – qui retrace l’aventure exceptionnelle d’un jeune ingénieur informatique parti en Chine pour un stage de fin d’étude et qui y est resté pour faire sa vie ! Au-delà de l’aventure humaine, c’est d’entreprise, de commerce international, de frottements interculturels, de sourcing dont il sera question. Au fil des pages, le jeune homme dit tout de sa découverte d’un pays, d’une civilisation, de sa langue qu’il finit par étudier dans une université locale. Il raconte cet apprentissage. Nous ressentons le décalage culturel que qu’il a éprouvé. Le jeune homme achève sa mue en devenant entrepreneur. Il créée une société de conseil en commerce international. La course d’obstacles se poursuit. Il ne nous cache rien de ses difficultés, de ses doutes. Aujourd’hui, il dirige une startup dédiée au sourcing.

Bienvenue en Chine par Milad Nouri et Tian-You Zheng, Delcourt

Souvenez-vous, l’an passé, l’ex-patron star de Renault-Nissan, Carlos Ghosn, était déjà à l’honneur pour un portrait assez sévère. Cette fois-ci, il fallait s’y attendre, c’est le piège japonais qui est minutieusement décrit dans Le temps de la vérité par Carlos Ghosn et Philippe Riès (Grasset). La thèse est connue : les dirigeants de Nissan ont ourdi une implacable trahison pour confondre celui qui menaçait de fusionner les deux groupes, Renault et Nissan. Le système judiciaire japonais a fait le reste. Largement inspiré du système américain, il enferme le prévenu au sens littéral du terme. A charge pour lui de se défendre mais il n’a pas vraiment accès à son dossier tandis qu’à l’extérieur fuitent des accusations très éloignées de celles évoquées par les procureurs de Tokyo. L’opinion publique a déjà jugé. C’est un homme seul qui défend son honneur et finir par fuir pour le faire. Evidemment l’Etat français (actionnaires de Renault) et ses représentants ne sortent pas grandis dans ce témoignage. L’industriel a beau jeu de dénoncer le lâchage en règle qu’il estime avoir subi. C’est en quelques sortes la saison 2 d’une série qui en connaîtra d’autres…

Le temps de la vérité par Carlos Ghosn et Philippe Riès, Grasset

Presqu’au même moment sortait un autre portrait : Carlos Ghosn, autopsie d’un désastre (First Editions). Changement de ton. Antithèse : le livre raconte l’ascension d’un ambitieux, avide de pouvoir, guidé par l’appât du gain mais au-delà de ça avec un bilan à la tête de son groupe automobile beaucoup moins flatteur qu’il ne le prétend. « Un échec industriel, économique et social » cingle l’auteur qui dénonce plutôt de mauvais choix industriels, un plan produit désastreux, une course aux volumes illusoire, un dialogue social très dégradé. Un livre à charge donc. Un de plus. A nuancer peut-être ? Affaire à suivre…



Carlos Ghosn, Autopsie d’un désastre par Benjamin Cuq, First Editions

Du Japon, repartons en Chine. Il y a deux ans, dans La diplomatie n'est pas un diner de gala (2018), le diplomate Claude Martin raillait l’intérêt superficiel de la plupart des hommes politiques français pour la Chine. Il a oublié Jean-Pierre Raffarin. L’ex-Premier ministre (2002-2005) dit avoir fêté en 2020 le… cinquantième anniversaire de son premier voyage en Chine, quand, jeune giscardien (l’ancien Président Valéry Giscard d’Estaing se disait aussi féru de Chine), il découvrait ce grand pays. Dans Chine, le grand paradoxe par Jean-Pierre Raffarin et Claude Leblanc (Michel Lafon), nous suivons les pérégrinations d’un politique français attaché à créer des liens entre les deux pays, encourager des entrepreneurs, favoriser des échanges. Le dynamisme chinois le fascine. Sans lui faire de mauvais procès, on se demande s’il songe aux français qu’il a gouverné un temps, au parallèle qu’il peut établir entre un pays qui envisage l’avenir avec gourmandise et le nôtre plus prompt à se plaindre, à protester. Aujourd’hui, les longues pages elles aussi admiratives qu’il consacre à Xi Jin Ping, le dirigeant Chinois, sonnent étrangement. La Chine est moins tendance ces temps-ci. Même star de Davos, le grand timonier de Pékin a vu son étoile pâlir dans le ciel international. Mais le diplomate qui doit se cacher dans tout homme politique dès qu’il franchit les frontières de son pays sait rester optimiste. C’est un livre de plus qui incite à continuer à dialoguer avec les dirigeants de ce qui sera peut-être très vite la première puissance économique. L’Europe est à l’autre bout de l’ensemble Eurasie…

Chine, le grand paradoxe par Jean-Pierre Raffarin, Michel Lafon

Restons en Chine. . Jean-Pierre Raffarin connait-il Fang Fang et a-t-il lu Wuhan, Ville close (Stock) ? L’auteure est écrivain. Elle a été présidente de l’Association des écrivains du Hubei, région dont dépend la ville de Wuhan, où elle a choisi de raconter son confinement. Celui mis en place dès janvier 2020 par l’Etat chinois. La littérature est universelle. Ce livre en est la preuve qui décrit la découverte du virus par la population, la dénégation des pouvoirs publics, le drame des hôpitaux débordés, les décès en nombre, le désarroi des médecins, le couperet du confinement, les affres de l’enfermement, la solidarité comme les égoïsmes qui se sont exprimés, la censure des autorités, la violence de débats sur les réseaux sociaux, etc. A quelques semaines près, nous allions vivre les mêmes choses. En le lisant, nous somme tous de Wuhan. Un autre portrait de la Chine. Un miroir dans lequel nous pouvons nous voir à l’identique.

Wuhan, ville close par Fang Fang, Stock

Cette abondance d’ouvrages sur la Chine qui inspire aussi beaucoup nos sélections d’une année sur l’autre installe définitivement ce pays au rang des superpuissances. Au côté des Etats-Unis, de la Russie et de l’Europe. Le Temps des prédateurs par François Heisbourg (Odile Jacob) montre l’affrontement que se livrent ces pays. Leur désir de ne pas quitter leur rang (Etats-Unis, Europe), de revenir dans la course (Russie), de prendre (enfin) sa revanche et consacrer son leadership (Chine). Mais ces pays jouent aussi la carte de l’expansion territoriale. Aux confins de leurs frontières. Parfois anecdotique comme cette proposition américaine d’acheter le Groenland au Danemark), carrément invasive (la Russie aux confins de la Géorgie, de l’Ukraine ou de la Crimée), contraignante (la Chine sur Hong Kong), menaçante (la Chine vis-à-vis de Taïwan). Mais cette instabilité des frontières a d’autres manifestations. Comme les migrations des populations, d’Amérique centrale vers l’Amérique du Nord ou du continent africain vers l’Europe sans parler de la poussée permanente des conflits du Moyen-Orient. Autant de défis pour notre prospérité voire pour nos valeurs. L’auteur y ajoute une autre forme de franchissement : celle des frontières immatérielles. Qui verraient la manipulation à distance des populations via les réseaux, réseaux informatiques mais réseaux sociaux aussi. Un monde instable, aux aspirations spirituelles diverses, dématérialisé. Ou les moyens technologique employés n’appartiennent pas nécessairement au domaine des armes guerrières traditionnelles. Une fois le décor planté, il reste des choix stratégiques à faire. Des alliances objectives possibles. L’auteur balaie beaucoup d’hypothèses. Tout n’est pas joué. Heureusement.

Le temps des prédateurs, la Chine, les Etats-Unis, la Russie et nous par François Heisbourg, Odile Jacob

Quand Emmanuel Todd, le sociologue qui inventa le temps d’une campagne électorale la fameuse expression, Fracture sociale, reprend, ses cartes, ses analyses démographiques, c’est pour nous convaincre que la France n’est plus celle que nous croyons. Dans Les Luttes des classes en France au XXIe siècle (Seuil), l’auteur, en pleine crise des Gilets Jaunes, professe que notre pays n’est pas celui des inégalités exprimées dans les manifestations, mais celui d’un déclassement généralisé. Le collapse viserait peu ou prou toutes les classes sociales. Le débit de la fin pourrait se situer en 1992 (Traité de Maastricht). Dès lors l’intégration dans la zone euro qui allait en découler allait ravager notre industrie et mettre notre cohésion nationale en péril. La chute drastique de la part de l’industrie dans le PIB national lui donne rétrospectivement raison. Après celle des Gilets Jaunes, la crise de la Covid n’a-t-elle pas souligné la perte d’une certaine forme de souveraineté quand il a fallu s’approvisionner en masques, fabriquer des respirateurs, sans parler de nos espoirs déçus s’agissant de nos champions nationaux (Institut Pasteur, Sanofi) à l’heure des vaccins ? Tous ceux qui ont vanté les délocalisations dans les années 2000, débordent aujourd'hui de proposition pour relocaliser leurs approvisionnements…

Emmanuel Todd est un opposant assumé à l’Union Européenne. Ce n’est pas lui faire injure que de le rappeler. Les pages qu’il consacre au sujet sont les plus idéologiques, les moins convaincantes par leur outrance. Mais il reste quand même l’étude des cartes électorales. Son intuition ? Plus qu’une « guerre » des territoires (proches campagnes et/ou banlieues contre centres-villes, ex-régions industrielles contre grands centres urbains), nous assisterions plutôt à un affrontement larvé entre classes sociales. Les jeunes diplômés de 2020, confinés chez leurs parents, cherchant un emploi ou jeunes étudiants de 2021 à la recherche de cours en présentiel ou des stages d’apprentissage ne vont-ils pas êtes poussés à plus de concurrences intergénérationnelles ?


Les luttes de classes en France au XXe siècle, Seuil

Extrait du livre de Nicolas Baverez, L’alerte démocratique (Editions de l’Observatoire) : « La démocratie peut s’effondrer de l’intérieur et basculer dans la tyrannie, quand les citoyens l’abandonnent par fascination pour la force ou par recherche de la sécurité, par ambition ou par conformisme, par lassitude ou par peur. » Au moment où chaque jour de nouvelles contraintes, de nouvelles entraves de circulation s’imposent à nous, l’actualité de cette phrase raisonne étrangement. A l’époque, l’auteur alertait sur la montée des extrêmes, sur les tensions que faisaient peser sur le Monde certains « grands » leader (Trump, Xi Jin Ping Poutine, Erdogan, nous y revenons toujours), la tentation populiste chez nous, en Europe. Un an plus tard, l’attaque du Capitole, à Washington, en janvier 2021, montrait la vision prémonitoire de l’ouvrage. Le relire maintenant, c’est rester en état d’alerte. La tentation autoritaire n’a pas disparu…

L’alerte démocratique par Nicolas Baverez, Editions de l’Observatoire

Les dents de la Maire par Benoît Duteurtre (Fayard) paru avant les élections municipales (Grasset) est une critique sévère de la Maire de Paris, Anne Hidalgo, candidate à l’époque à sa réélection (réélue depuis), de ses méthodes, de sa gestion, de ses engagements. L’affichage écologique ne pourra pas dissimuler longtemps l’entrave de la circulation dans la capitale, l’enlaidissement de ses rues, la démagogie des mesures (opérations Paris Respire !), les échecs industriels (Autolib’, Vélib’, etc.), tout aussi coûteux, les « grands travaux » (réaménagement des grandes places façon pistes de skate ou de kart, c’est selon), sans parler de dégâts collatéraux sur le patrimoine (les fontaines de la place de la République). L’intérêt du livre remonte quand on sait que depuis Anne Hidalgo est potentiellement candidate à l’Elysée en 2022. Imaginer la même gestion de la chose publique à l’échelle du pays justifie à nouveau de s’émouvoir…


Les dents de la Maire par Benoit Duteurtre, Fayard

Potentiel candidat à l’élection présidentielle. Arnaud Montebourg ne s’en cache pas. Il est en campagne pré-électorale. Ecrit à la première personne sur le mode « Ma vie, mon Œuvre », ce récit a quand même le mérite de revenir sur l’action du ministre du redressement productif qu’il fût (2012-2014) avant de sa place à un certain… Emmanuel Macron dont on connait le parcours depuis. Nous relisons ses luttes contre les faillites annoncées de bon nombre d’entreprises industriels à l’époque, conséquence de la crise des subprimes de 2008. Plus emblématique encore, son combat désespéré contre la fermeture de Florange, site abandonné par son actionnaire ArcelorMittal. Les pages terribles que consacre l’auteur à son ex-directeur de cabinet coupable à ses yeux de porter plus les choix de la haute administration de Bercy que les options politiques préconisées par son ministre. En gros, un peu de protectionnisme économique ne nuirait pas. L’Europe devrait sans doute se protéger davantage. Plus loin dans le livre le rappel de ce que fut la perte des activités énergie d’Alstom au profit de l’américain GE raisonne encore (voir au début de cet article) au moment où la relocalisation d’activités industrielles s’avère désormais le nouveau mantra de nos dirigeants dont le lointain successeur d’Arnaud Montebourg, Bruno Lemaire qui, lui, vient de sortir (janvier 2021), L’ange ou la bête (Grasset), les premières mémoires de l’intérieur du quinquennat d’Emmanuel Macron. L’Histoire n’attend pas…


L’engagement par Arnaud Montebourg, Grasset

Le fameux « quoi qu’il en coûte » du Président Macron fait couler à flot l’argent public coule. La BCE (Banque Centrale Européenne) continue de reprendre nos dettes publiques et injecter de l’argent frais pour soutenir l’activité. Cette mécanique de l’emprunt illimité est bien décrit dans Quoiqu’il en coûte par François Lenglet (Albin Michel). De mêmes que tous les points du débat qui monte dans le pays : faudra-t-il rembourser ? Et comment ? Un simple retour à la normale de l’activité suffira-t-il ou faudra-t-il envisager (enfin) des réformes structurelles en profondeur pour envisager une réelle sortie de crise ? La réponse est dans la question.

Quoiqu’il en coûte par François Lenglet, Albin Michel

L’économie post-Covid par Patrick Artus et Olivier Pastré (Fayard) fait écho au titre précédent. Tout cet argent en soutien de l’activité ne nous épargnera pas une réflexion plus profonde sur les bouleversements induits par cette. La montée de l’endettement public qui finance plus les dépenses de fonctionnements à court terme que les investissements du futur, le recensement des secteurs perdants (l’aéronautique, l’automobile, les transports en général, la distribution traditionnelle, le tourisme, l’hôtellerie-restauration) comme des gagnants supposés (l’agroalimentaire, la pharmacie, la santé, l’e-commerce, les télécommunications, les services à la personne, etc.), les bouleversements induits sur le fonctionnement même de notre société (généralisation du télétravail, refonte de la formation pour répondre aux futurs transferts d’emploi et aux besoins en nouvelles compétences des secteurs d’activité de demain, la lutte contre le chômage des jeunes, etc.), tous ces sujets s’alignent au fil des pages et fournissent des hypothèses... Mieux, les auteurs suggèrent une liste de huit ruptures à accomplir pour espérer une réelle sortie de crise. Parmi elles : la création d’un revenu universel ciblè sur les plus fragiles, une réforme drastique de la formation professionnelle, une refonte du sytème de retraite, une inversion des principes de la décentralisation (du bas vers le haut), un fort investissement vers les nouvelles technologies avec des partenariats État-entreprises, etc. Pour politiques courageux.


L’économie post-Covid par Patrick Artus et Olivier Pastré, Fayard