De Shanghai à Paris, mon regard sur la nouvelle Chine
Publié le samedi 27 octobre 2018
Xu Bo, est un ancien diplomate, né en 1960. Son récit commence à peu près au même moment. Il a six ans. La révolution culturelle éclate. Son père, petit fonctionnaire va être très vite l’objet de persécutions de la part des gardes rouges. Le père de son père avait été colonel de l’armée du gouvernement de Nankin, signataire d’un armistice avec les armées japonaises et donc « ennemi juré » des communistes chinois. Cela avait laissé des traces dans l’histoire familiale.
Lorsque près de 40 ans plus tard, il retrouve, grâce à WeChat, le Facebook chinois, ses anciens camarades d’enfance à la campagne, il mesure tout le chemin parcouru depuis. L’arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping, en 1978, va changer sa vie. Elle lui permettra de prendre le chemin de l’Université et de faire par la suite une carrière internationale. Ses amis ont connu des fortunes diverses. Mais tous ont connu aux aussi le très fort développement de la Chine. Le bourg dont il est originaire, Huinan, 1 000 habitants à l’époque, chef-lieu de Nanhui, l’un des districts de Shanghai, à 150 kilomètres de cette ville, est aujourd’hui à 45 minutes par un train à grande vitesse du cœur de la mégalopole passée depuis de 6 millions à 24 millions d’habitants. Peut-être même 30 voire 40 millions si l’on tient compte de travailleurs clandestins qui s’y trouvent aussi. Les chiffres donnent le tournis. Aujourd’hui, Shanghai recense quatorze lignes de métro (617 kilomètres), en 2025, il y en aura neuf de plus (285 kilomètres à rajouter…).
CROISSANCE VERTIGINEUSE
De Shanghai, la Capitale Diabolique, son surnom, Xu Bo, nous entraîne à Beijing (Pékin), 21,5 millions d’habitants, la Capitale Impériale, le centre politique et culturel du pays. Même description : dix-huit lignes de métro, des lignes rapides pour un total de 574 kilomètres. Il y en aura vingt de plus d’ici 2020 ! Soit un réseau de plus de 1 000 kilomètres. Dans la 2e plus grande ville du monde après Tokyo (la rivalité se poursuit !), les voitures ont remplacé les vélos. Didi, le Uber local, a révolutionné (!) le métier des chauffeurs de taxi venus des lointaines provinces. Les smartphones régulent à leur manière, tant bien que mal, la circulation, la congestion n’est pas loin. Les six périphériques repoussent les faubourgs de la ville à plus de 40 kilomètres du centre de la ville. Urbanisation et pollution croissante, hausse vertigineuse du poids du secteur immobilier dans l’économie au point sans doute de pouvoir la fragiliser à terme (allusion à peine voilée à la crise américaine des subprimes) poussent les autorités à la fois à régulariser le secteur (plan en faveur de la location), à répartir la croissance des villes parfois avec des projets de création ex-nihilo comme la future ville nouvelle de Xiong’an (100 kilomètres au sud de Beijing, dont elle sera un 2e centre), ou encore à pousser les industriels – et notamment ceux de l’automobile – à devenir des champions de l’énergie propre et renouvelable.
Pour l’auteur, un des secrets du miracle économique chinois, c’est l’entrepreneuriat ! Le fameux appel de Deng Xiaoping, « Enrichissez-vous ! » a été parfaitement entendu et appliqué. En une génération, le PIB est passé de 21, 68 milliards de dollars (1978) à 13 067 milliards de dollars (2017) soit une multiplication par 600 ! La part du PIB chinois dans le PIB mondial est passée dans le même temps de 1,6% à 16%. Au début de 2017, la Chine comptait 60 millions d’entreprises privées dont 25 classées dans le Fortune 500. Les BAT (Baidu, Alibaba, Tencent) le dispute aux GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft). Les entreprises chinoises sont créditées de 95% des créations d’emplois et leurs dirigeants sont les nouveaux héros de la nation, des icônes pour la jeunesse. A comparer, allez, au hasard, avec la France… L’auteur ne se prive pas de faire le parallèle qui livre trois explications à cette dynamique « de soif d’entreprendre » : la tolérance aux déséquilibres de revenus (qu’en termes élégants ces choses-là sont dites, NDR) ; une politique pro entrepreneuriat du gouvernement (avec des entrepreneurs également membres du PPC) et enfin une culture de tolérance à l’échec… Les exemples sont fameux (Alibaba, Huawei, etc.) d’entrepreneurs sans cesse repoussés, chutant lourdement mais se remettant en selle sans tarder.
CHAMPION DU MONDE DU NUMÉRIQUE
Des institutions pragmatiques, des entrepreneurs imaginatifs, des salariés flexibles (priorité à la création d’emplois plutôt qu’à leur protection), une population consumériste (le succès phénoménal des journées de soldes !) et pour couronner le tout, une véritable opportunité de changement : le numérique ! Sur un marché de plus de 1,3 milliards de consommateurs, un milliard d’entre eux utilisent un smartphone, WeChat compte 900 millions d’utilisateurs, et le nombre de transactions sur mobile serait très largement supérieurs à celui des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France, de l’Allemagne et du Japon réunis… Le Chine pèserait 30% de l’économie numérique dans le monde. C’est le 3e investisseur mondial (77 milliards de dollars entre 2014 et 2017). Le numérique représentera 35% de son PIB d’ici 2020 ce qui en fera la championne du monde. Aux quatre « inventions » historiques de la Chine (poudre, papier, boussole et imprimerie) auraient succédé l’achat sur internet, le paiement mobile, le train à très grande vitesse et le CoVélo (en free floating). Sans oublier son leadership à venir dans la voiture électrique. Mais attention à la surchauffe : après l’immobilier, le coût de la main d’œuvre s’envole aussi et pousse aux… délocalisations. Bienvenue au club !
PLAIDOYER PRO DOMO
Pour canaliser toutes ces évolutions, le pouvoir politique ne chôme pas. C’est la dernière partie du livre. La lutte contre la corruption est au cœur du dispositif. Nous laisserons le lecteur juger à la fois de l’ampleur du phénomène (les chiffres des mises à l’écart des individus confondus sont colossaux, à l’échelle du pays) et sur ce qui sonne comme un vibrant plaidoyer de l’auteur en faveur des dirigeants actuels, et en particulier de Xi Jinping. Le président chinois serait condamné à réussir si l’on peut dire, sans quoi la pression de ses concitoyens, aspirant à une société plus prospère, plus bienveillante, plus juste, pousserait ses adversaires (il en a…) à le contrer. Evidemment la disparition récente de personnalités, et la dernière en date, celle du patron d’Interpol, Meng Hongwei, incite à plus de prudence dans le jugement. Et puis la Chine se trouve elle aussi en première ligne face aux Etats-Unis dans une guerre commerciale quasi-mondiale déclenchée par l’autre président, Donald Trump. Les deux leaders du monde face à face, le chapitre de ce combat inédit - et de son issue - reste à écrire. D’ici 2049, pour le centenaire de la République populaire de Chine.