Essai

Je dirai malgré tout que la politique est belle

Publié le vendredi 25 avril 2025

Les tourments d’un homme politique en devenir

Il faut lire de temps à autre des livres politiques. Ce sont souvent des plaidoyers pro domo toujours surprenants. Il faut les choisir sans logique partisane si possible. Ici, c'est le cas. C'est l'occasion qui a fait le larron. Clément Beaune et son livre étaient présent à la 34e journée du Livre Politique le 5 avril dernier. Sa table pour signature montrait moins de visiteurs que celle de Jean-Michel Blanquer, autre ex-ministre écrivant. Le sort en a (presque) ainsi décidé. Et puis le "Malgré tout" du titre intriguait... Sorti de l'ENA en 2009 (promotion Willy Brandt), Clément Beaune, né en 1981, commence sa carrière au Budget avant de travailler à Matignon (gouvernement de Jean-Marc Ayrault) de 2012 à 2014. Un jeune homme de gauche donc qui devient proche d'Emmanuel Macron qu'il rejoint à Bercy lorsque celui-ci devient Ministre de l'économie en 2014 puis candidat à la présidence puis Président, on connait la suite. Conseiller à l'Elysée en 2017 sur les questions européennes, le voilà en 2020 secrétaire d'Etat chargé des Affaires européennes (gouvernement Jean Castex) et en 2022, Ministre délégué chargé de l'Europe puis des Transports (gouvernement Elisabeth Borne). En 2022, il se faisait aussi élire député de Paris avant de laisser la place à sa suppléante. Un siège qu'il allait retrouver brièvement en 2024 après l'accession à Matignon de Gabriel Attal. avant cette dissolution qui allait en surprendre plus d'un à commencer par lui...

Retour en arrière. Les discussions sur la loi Immigration en novembre 2023 laissent apparaître de profondes divisions au sein de l'équipe gouvernementale. Clément Beaune s'oppose à Gérald Darmanin (suppression des aides au logement pour les immigrés en situation régulière et avec un emploi) et réussit (!) à apparaître comme un frondeur. Soupçonné de vouloir mettre en balance sa démission et de mobiliser quelques collègues ministres avec lui, il finit par agacer le "Patron" et ne sera pas reconduit. Clément Beaune plaide une sorte de maladresse venant de lui, une incompréhension de la part du Landerneau politique. Il voulait susciter une réflexion "productive" plus que monter une cabale. Il fera l'expérience sinon de la trahison de ses ex-collègues au moins de leur manque de solidarité, tous et toutes repartis sur leurs terres respectives. Chacun pour soi, comprend-on. La politique serait l'art de faire sans le dire... Les cinquante premières pages du livre font part d'une certaine amertume. Le bonhomme parait sincère mais le soupçon de naïveté n'est pas loin. Qu'allait-il faire dans cette galère ?

Et pourtant, il l'a voulu ! Amoureux fou de politique, préférant, enfant, les discussions de l'Assemblée le mercredi après-midi au Club Dorothée (l'émission de TV de l'époque); s'amusant à faire, défaire, recomposer des gouvernements imaginaires, il fait des études ad hoc (Scences Po, Ena, Collège d'Europe, Erasmus et autres), devient un brillant conseiller. A sa "terreur" (selon son expression) d'être catalogué spécialiste des finances publiques, il choisit le thème de l'Europe pour rejoindre le cabinet d'Emmanuel Macron. Et c'est bien sur ce sujet qu'il s'est imposé. Toujours convaincant lorsqu'il démontre quelque soit le sujet qu'un ensemble de pays pèse plus qu'un seul, que l'Union Européenne a fait du droit un outil incontournable, que des approches économiques communes permettraient un plus large développement (l'accord pour un emprunt commun au sortir du Covid, peut-être un futur emprunt inspiré par le rapport Draghi), idem pour les questions autour de la transition énergétique, de défense ou encore de la maîtrise des flux migratoires. A l'évidence, il est heureux de pouvoir conseiller, administrer, pousser des décisions au coeur des instances politiques. L'homme plaide pour plus d'Europe, une Europe souveraine qui ne soit "ni un marché ni un musée". Le livre fournit nombre d'exemples.

La dissolution a été un choc. Il l'apprend quasiment sur un plateau de télévision, obligé d'improviser un avis, devenu en quelques mois un "chouchou" des médias. Il parle bien, il a surmonté sa timidité. Il est l'aile gauche de la Macronie. Le pire pour lui est à venir avec ce qu'il décrit comme une trahison. Emmanuel Grégoire, 1er adjoint de la mairie de Paris à qui il propose une alliance "social-démocrate" pour l'élection législative de 2022, se presente finalement contre lui sans le prévenir... Quelles leçons retire-t-il finalement de ce chaos ? Une fois l'incompréhension réaffirmée et l'élection passée, le manque criant de maturité politique dont fait preuve le monde politIque. Un présidentialisme selon lui excessif mais surtout une incapacité à se parler et encore moins à construire des majorités sur la base de négociations préalables. En toute transparence pour l'électeur. Fort bien mais dans ces mêmes pages - s'il prône aussi plus de parlement, l'instauration de la proportionnelle, etc., l'homme politique Clément Beaune ne semble pas remettre en cause le (désastreux) mécanisme du "barrage républicain". Se désister en faveur ou bénéficier d'un report de voix de l'extrême-gauche, c'est possible. Combattre ainsi à tout prix le RN (Rassemblement National) toujours soupçonné du pire. Pourtant, en matière de positions douteuses, l'ex-Nupes ou Nouveau Front Populaire n'est pas en reste. Ce sont là les limites du genre. Ministre technicien, oui, politique sans aucun doute, capable d'administrer et d'arbitrer au plus haut niveau indéniablement, mais les contorsions apparaissent quand même un peu (trop) entre les lignes. On sent qu'il ne faut fâcher personne. Surtout côté gauche voire des écologistes. On ne se refait pas. Sans doute une limite pour de futures discussions (sans imaginer des coalitions improbables pour autant) entre gens responsables pour sortir le pays d'une trop longue impasse. Un talent en quête d'avenir ? A suivre.


Extrait

« Une politique économique qui réindustrialise est indispensable, et elle se joue désormais d'abord au niveau européen; une poursuite de la baisse du chômage est nécessaire, notamment pour les jeunes. Mais si je devais, en ces propos conclusifs, insister sur un champ de réformes, c'est bien celui de nos services publics de proximité. Ils sont l'armature de notre pays, de notre modèle et de notre cohésion, ils font notre fierté et notre fraternité. Un village qui va bien, une ville qui va mieux, ce sont nécessairement des services publics de proximité qui rouvrent, se maintiennent ou s'améliorent. Il vaut mieux investir quelques dizaines de millions dans le recrutement de personnels de gare ou de soignants que des milliards dans des autoroutes, dans une baisse d'impôt sur le revenu invisible pour les foyers qui en bénéficient ou dans une revalorisation générale des retraites. 

Plus encore, je plaide pour la réforme des institutions. D'elle procède tout, comme notre pays le sait mieux qu'aucun autre, ayant douloureusement cherché le bon régime, celui de la concorde re de la Nation et de l'efficacité de l'État, de la Révolution à la Vº République. Sortir de la maladie présidentialiste, rehausser le Parlement, en inversant les scrutins, en basculant vers la proportionnelle, en préférant le non-cumul dans le temps au non-cumul des fonctions, en laissant à chaque président le temps de s'installer et de rassembler. C’est une culture du compromis permanent et de la responsabilité partagée qu'il faut instiller dans notre France, pour la réconcilier avec elle-même. Les réformes économiques, sociales, fiscales, sécuritaires et techniques en découleront, et elles seront plus efficaces, mieux acceptées. »