Essai

L'ombre du maquis - Exécution sommaire en Limousin

Publié le vendredi 13 décembre 2024

La vérité trop souvent au bout d'un long chemin

La famille de Paul Codet-Boisse est originaire d'Oradour-sur-Vayres, au lieu dit Les Brègères, en Haute-Vienne, à une quarantaine de kilomètres de Limogers. Paul est diplômé d'un Institut Technique de Pratique agricole. Il doit reprendre les terres familiales. Mais le déclenchement de la guerre en septembre 1939 va contrarier ce projet. S'il se marie en avril 1940 à Paris avec Gladys, une jeune étudiante en lettres classique, le conflit va le contraindre à trouver un autre métier. Les terres des parents s'avèrent insuffisantes à faire vivre plusieurs familles, les propriétaires, les métayers, les réfugiés. Il devient exploitant forestier. Il fournit du bois de chauffage ou encore des traverses à la SNCF. Harassé par son travail, soumis à une administration insensible que la régime de Vichy rend encore plus tatillonne, dans un climat où règne la suspicion, les dénonciations calomnieuses, des jugements sommaires, il peine à honorer ses engagements.

En juillet 1944, de terribles régiments (entre autres la division Das Reich) remontent vers lle front de Normandie. La bataille fait rage avec une Résistance qui se densifie. Le Limousin est une région qui enchaîne les tragédies (Oradour-sur-Glane, Tulle et bien d'autres). Paul Codet-Boisse sera victime d'un terrible engrenage de mensonges. Il ramasse une grenade allemande abandonnée pour qu'eile n'explose pas, cela fera de lui un complice des bataillons ennemis qui traversent la campagne limousine. Dénoncé (un témoin l'aurait vu parler avec des soldats allemands à un endroit où il n'était pas), arrêté, fouillé (sa carte de forestier marquerait des points de passages de combattants), séquestré, torturé, Paul sera "jugé", condamné et fusillé. En trois jours. L'auteure nait au même moment. Sa mère, les soeurs de son père, leurs maris vont tenter de savoir, interroger les "autorités", réunir des témoignages infirmant les accusations, etc. Une chape de plomb s'abat sur cette famille, la jeune veuve et ses deux enfants en bas âge.

Catherine Collomb fait le récit détaillé à la fois de cette Résistance en Limousin et de ce drame familial, intime même. Enfant, elle n’a pu que ressentir douloureusement le poids de l'absence et des non-dits. La Résistance a bien sûr été courageuse, déterminée, organisée mais pas sans zone d'ombres non plus. Faut-il parler de contributions volontaires à l'effort de guerre ou d'extorsions de fonds sinon de pillages quand frappent à votre porte des demandeurs armés ? Et quand tous ces combattants sous le label AS (Armée Secrète) constituent autant de maquis auxquels Londres demande de se réunir et de se rallier, il y a forcément des luttes d'influences, des luttes d'hommes, des luttes sociales, des combats politiques (partisans de Vichy contre militants communistes) avec à la clé des jalousies, des dénonciations, des agissements incontrôlés, des tribunaux d'exception, de terribles erreurs, de terribles injustices, comment nommer autrement ces exactions ?

Dans le livre, le mot "crime" n'apparait d'ailleurs que dans les derniers chapitres, une fois remonté tout le parcours accompli par la mère et sa famille pour faire prospérer un recours, demander justice, réparation, une exonération des droits de succession notamment. Crime de guerre ou dégât collatéral ? L'accusation indigne perdure, témoins et acteurs réitèrent leurs informations mensongères, l'Etat français qui se reconstitue et souhaite la concorde par une loi d'amnistie, persiste et signe. Le Procureur de la République ouvre une enquête puis le Ministère de la justice se dessaisit, c’est une affaire militaire. L’ordre d’informer précise quand même "arrestation illégale, séquestration, meurtre et complicité". Mais le tribunal militaire de Bordeaux va conclure à un non-lieu. Les apparences étaient contre l’accusé, pas de preuve de culpabilité, des interrogatoires ayant des apparences de régularité, ses juges ont agi en toute bonne foi, etc. La justice se défausse. Un ultime recours auprès du ministère de la justice couronnera de façon magistrale le raisonnement suivi : « cette décision ayant été prononcé par une juridiction qui n’avait pas d’existence légale doit être tenue pour inexistante. » Injuste. Implacable. Une longue période de de recours va s’ouvrir pour aboutir de façon presque détournée à ce que Paul Codet-Boisse soit reconnu comme victime civile. Sa veuve aura droit à une « allocation provisoire d’attente ». La loi a évolué : « Les familles des personnes exécutés sans jugement ou sans garantie suffisante pourront se pourvoir devant une juridiction spéciale afin d’obtenir une réhabilitation de leur mémoire ». En 1953, les deux enfants mineurs, Antoine et Catherine Codes-Boisse deviendront Pupilles de la Nation. Leur mère obtiendra la reconnaissance de l'innocence de Paul mais pas le statut "Mort pour la France". Encore moins la reconnaissance de la culpabilité des auteurs du crime.

Toute une vie a presque passé depuis l’exécution tragique de cet homme. Mais le temps ne fait rien à l’affaire. Sa fille n'a pas renoncé pas à écrire la vérité. Plusieurs choses fascine dans cette enquête. Les incroyables archives d’abord. Rien ne s’est perdu. Celles de la famille comme elles de l’’Etat. Toutes les pièces des diverses procédures ont été conservées. La trace des mensonges successifs n’a pas été effacée. Ensuite, le génie administratif de la France qui ressort. Tout est ordonné, écrit, consigné. Une machine à remonter le temps. Le lien enfin avec l’actualité. Les conflits armées font aussi des victimes civiles. Injustices et faux-semblants vont de paire. Voilà pourquoi une histoire qui s’est déroulé Il y a 80 ans dans le Limousin peut dépasser son cadre local et atteindre l’universel. Il reste aussi que l’histoire de la seconde guerre mondiale et de la Résistance française continue de s’écrire encore aujourd’hui.

Extrait

 « L'exécution de Paul, […], fait partie des quelque 8 000 à 9 000 cas d'épuration «extra-judiciaire», perpétrés en France, en dehors de toute légalité, dont 60 % eurent lieu entre le Débarquement et la Libération, en pleins combats pour la libération du territoire. Dans l'après-guerre, l'établissement de ce chiffre a fait l'objet d'une longue bataille politique et médiatique. Des journaux d'extrême droite criaient aux 100.000 victimes de la « terreur rouge» semée par les maquis du Parti communiste. Puis, de sources préfectorales, en 1948 et 1952, on en est revenu à une estimation de 10.000 exécutions extra-judiciaires, chiffre retenu par le général de Gaulle dans ses mémoires.

Plus tard, les études menées par le Comité d'Histoire de la Deuxième Guerre mondiale (CH2GM), ont affiné le chiffre département par département. Pour les 84 départements où le décompte a été fait, 8 100 personnes auraient été victimes d'exécution extra-judiciaire. Le Sud-Ouest où la résistance a été très active est particulièrement frappé, Creuse, Corrèze, Dordogne. Pour la Haute-Vienne, l'un, des départements les plus touchés, le décompte précis n'a malheureusement pas été réalisé. »