Essai

La guerre des intelligences

Publié le vendredi 29 décembre 2017

L’auteur court tous les plateaux (télés, radios, évènements). Aux Universités d’été du Medef, dans pas mal d’émissions d’informations, dans bon nombres de journaux. Sur France Culture, dans Le Point ou les Echos, personne n’a échappé au diagnostic du Dr Laurent Alexandre. Chirurgien, énarque, entrepreneur (créateur de Doctissimo), écrivain, l’individu a quelques ressources. Il y a un adage disant qu’un médecin a deux fonctions : rassurer ou inquiéter. Dans le cas présent, notre auteur semble avoir choisi la deuxième option. Il est inquiétant en effet, le Dr Laurent Alexandre, quand il démontre la puissance de calcul et de déduction à venir des machines (de superordinateurs) dans tout domaine (il s’étend beaucoup sur son domaine de prédilection, la santé), lorsqu’il évoque les prédictions (pour ne pas dire qu’il les reprend à son compte) de certains leaders de la Silicon Valley pour lesquels, à terme, il sera possible de greffer des « puces » dans les cerveaux humains. Un dopage neuronal, en quelque sorte.

ALGORITHMIES

Les industriels nous promettent depuis des lunes des exosquelettes pour pouvoir porter plus, se déplacer plus vite que déjà, sans que cette étape soit tout à fait validée, une mémoire vive additionnelle viendrait nous apporter plus de savoir, plus de capacité de calcul, modifierait même, au fond, les capacités biologiques que la nature donne à tout être humain et que son milieu social, éducatif fait ensuite évoluer. Tout cet acquis qui modifie tout au long de la vie l’état de nature bouleversé par de supers processeurs ? Diable. C’est effrayant mais comme c’est brossé à grand trait, le côté science-fiction ne l’emporte pas...

En fait, l'intérêt essentiel de cet ouvrage - et toute sa qualité - tient au diagnostic – en seconde analyse cette fois – que l’auteur livre sur l’éducation. Au fond, de la même façon que les hommes ont vu leur travail – et leur production de biens - se transformer à mesure que les machines – symbolisées par les hauts fourneaux de l’industrie – se sont répandues d’abord dans les usines puis dans notre vie courante, à l’ère des services, la digitalisation de nos vies aura les mêmes effets. Nos pouces comme nos yeux sur tous les écrans qui nous environnent se laisseront guider par une masse de plus en plus exponentielle de données. Qui seront captées, triées, digérées, restituées par de supers algorithmes avec lesquels il va falloir apprendre à grandir, à fonctionner, à raisonner. Là, l’ouvrage prend tout son sens quand il alerte sur les conséquences du phénomène sur les programmes d’éducation qui n’en auraient pas pris la mesure. Depuis l'école primaire jusqu'aux études supérieures. Surtout ne pas laisser se creuser de nouvelles inégalités entre les initiés - si l'on peut dire - et les moins favorisés. Un mouvement aussi disruptif pour l’humanité que la Renaissance ou la révolution industrielle. Un mouvement aussi destructeur de valeurs que producteur de nouvelles ressources. La transmission des connaissances ne sera peut-être plus jamais comme avant et les deux intelligences – intelligence humaine et celle issue des machines – devront trouver un nouveau mode opératoire.

Si l'on s'interroge sur les conséquences des outils de l’intelligence artificielle, la lecture de ce livre s’impose, à la fois pour élargir le débat, remonter aux sources des informations ou pour irriguer les échanges à venir. Nous sommes tous des utilisateurs en devenir. Ce qui est décrit là pourrait bien peu ou prou se réaliser. Autant en prendre la mesure. A suivre…