Nature humaine
Publié le lundi 05 août 2024
Aux sources de l'écologie politique
L'histoire entre Alexandre, le fils de l'agriculteur destiné à reprendre l'exploitation, et Constance, une jeune allemande de l'est inscrite dans l'université de la grande ville, sert de fil conducteur à ce roman. Mais le vrai sujet du roman, c'est bien la fin des campagnes et de la vie paysanne de toute éternité, de ces exploitations transmises du père en fils, où les générations se succèdent, naissent, vivent, convolent et meurent au pays. Le pays change, les échanges s'accroissent, des routes s'ouvrent, la ville attire filles et garçons, l'Europe avance. La Pac, la grande distribution, l'émergence d'une forme de conscience écologique bouleversent les modes de vie. Les consommateurs veulent de la viande préemballée, il faut donc changer les pratiques d'élevage, un exemple parmi d'autres.
Les années 70 servent de toile de fond. L'auteur cite les politiques et les débats de l'époque, rappelle les formes d'actions violentes qui émergent au même moment. Les produits chimiques utilisés par les agriculteurs peuvent être détournés et servir d'explosifs. Les rebelles finissent par être arrêtés, jugés, embastillés mais il y a aussi des jusqu'au-boutistes... Ce que l'on appelle aujourd'hui des zones à défendre trouve peut-être son origine dans ces temps pionniers. L'histoire court,. Rien n'arrête ce que d'aucuns appellent le progrès et d'autres une catastrophe. Lu quelques mois après le mouvement des agriculteurs au début de cette année, le livre interpelle. L'auteur ne fait pas la morale à ses lecteurs. Il leur donne des pistes. Que sont devenus ses personnages depuis ? A nous de l'inventer. La colère des agriculteurs est toujours là, le risque climatique s'alourdit et nourrit nos inquiétudes, la transition climatique peine à trouver ses remèdes. Peut-on changer le cours des évènements ?
Extrait
« Depuis une semaine la radio parlait de la marée noire provoquée par l'Erika, ce pétrolier échoué au large de la Bretagne à cause de la tempête. Et ce matin-là ils parlaient de nouveaux coups de vent à venir, peut-être plus forts encore. Au fil des flashs météo les prévisions se précisaient, évoquant des vents violents comme on en voit rarement.
Depuis l'éclipse totale du mois d'août, on sentait la nature plus déréglée que jamais. Alexandre se souvint que pour voir ce soleil noir, il y a cinq mois, ils étaient tous montés à la ferme. Depuis que les parents vivaient en bas, c'était la première fois qu'ils se retrouvaient tous là, aux Bertranges, quatre générations réunies. Parce que Lucienne aussi avait voulu voir ça, cette lune qui avale le soleil, ça n'arrive qu'une fois dans une vie. Quant aux gamins de Caroline et Vanessa, ils avaient été intenables, leurs mères n'avaient qu'une peur, qu'ils n'enlèvent leurs lunettes anti-rayons infrarouges au moment de l'éclipse. Mais les plus nerveux c'étaient bien Angèle et Jean. L'idée que le soleil puisse disparaître, ne serait-ce que quelques minutes, selon eux ce n'était pas bon signe. Ils n'allaient pas jusqu'à croire tous ces illuminés qui parlaient de la fin du monde, ceux qui prédisaient que la station Mir s'écraserait sur le Gers pile à ce moment-là, d'autant que le Gers c'était à cent kilomètres d'ici, mais tout de même, pour eux cette éclipse ça ne valait rien de bon. Le père disait avoir vu la veille plein de sangliers et de chevreuils descendre de la forêt, à croire que les animaux fuyaient les bois de peur que les arbres ne leur tombent dessus, il n'avait encore jamais vu ça. "