Notre-Dame, une affaire d'Etat
Publié le mardi 03 décembre 2024
Un récit unique qui révèle les enjeux de la protection du patrimoine historique
Le 8 décembre 2024 sera donc la date de l'inauguration des travaux de Notre-Dame de Paris, sauvée, restaurée, rénovée. Cinq ans depuis le drame de l'incendie (15 avril 2019) et la vision de ces flammes dans le ciel de la capitale, des foules massées sur les bords de la Seine, du ballet des politiques venus s'affliger (mais jamais battre leur coulpe) de ce désastre en direct. L'histoire du patrimoine bâti négligé - et notamment les églises - serait trop longue à raconter ici. Pari tenu quand même pour cette reconstruction en cinq ans. Ce qui s'annonçait à l'époque comme une bravade du président de la République, Emmanuel Macron, pourra être mis en grande partie à son crédit même si le chemin tracé a été jalonné d'épines, des différents projets de flèches à l'affaire des vitraux... Près de 846 millions d'euros collectés, plus de 2 000 artisans et compagnons qui ont oeuvré sur ce gigantesque chantier, les superlatifs ne vont pas manquer lors de l'inauguration depuis le parvis ou s'exprimera le président de la République (plutôt qu'à l'intérieur du lieu de culte, même s'il l'a fait brièvement lors de la prévisite,du 29 novembre) jusqu'à l'autel (pour la messe de réouverture).
L'ouvrage, en tenant les minutes de la soirée du drame, montre au plus près le désarroi qui a saisi le ministère de la culture, l'hôtel de ville, l'épiscopat lui-même, le soir de l'incendie. Une enquête digne d'un thriller, illustrée de photos avec des détails techniques à l'appui, qui, à mesure que progressent les pompiers (avec un très grand courage), tente d'élucider les causes du sinistre, les négligences, les responsabilités. S'il l'on distingue toute une série de dysfonctionnements (évaluation des risques, dispositifs de sécurité, process d'alerte, etc.), il reste que derrière "l'insuffisance d'entretien et de restauration chronique de la cathédrale" pointe avant tout un manque criant de moyens financiers. Ni l'Etat ni les collectivités locales ne se mobilisent suffisamment en amont pour sauvegarder le patrimoine.
Les murs gorgés d'eau et à peine refroidis, le chantier de reconstruction débute tambour battant. Il fait même l'objet d'une loi... d'exception qui, souligne l'auteur, va "déroger aux règles de protection des monuments historiques, c'est à dire au code du patrimoine, et à celles qui en définissent les abords, c'est à dire les règles de l'urbanisme". Il s'agit d'aller vite. Un deux poids deux mesures qui ne manque pas d'interpeler tous les maires ou les propriétaires de biens historiques notamment, qui souhaitent engager des travaux de restauration. Moins de normes, le rêve de beaucoup et parfois pour de bonnes raisons. A noter que le gouvernement a renoncé à déroger au code des marchés publics. Point trop n'en faut.
Un établissement public a été créé avec à sa tête le général Georgelin - décédé en août 2023 et remplacé par son adjoint Philippe Jost, ingénieur général à l'armement. Si selon la formule, la guerre est une affaire trop sérieuse pour être confiée à des militaires, en revanche, la reconstruction d'u monument religieux pose moins de difficultés... A leurs côtés, un homme de l'art, Philippe Villeneuve, Architecte en chef des monuments historiques, déjà en charge de la cathédrale avant l'incendie. Un étonnement pour certains mais une polémique vite désamorcée. Quelque soit sa composition, le duo a bien fonctionné. L'auteur détaille également par le menu l'aventure administrative et législative du chantier. Une vraie foire d'empoigne où jamais autant la défense des règles touchant la protection du patrimoine n'a paru échauffer les esprits (passons ici toute une polémique sur la pollution au plomb de l'édifice). L'affaire a passionné l'Assemblée mais pas point de créer une commission d'enquête parlementaire. L'enquête judiciaire est toujours en cours et la piste accidentelle la plus probable. Le feu aurait pris depuis une sablière, une grosse poutre à la base de la charpente.
Le miracle de Notre-Dame n'a pas seulement sauvé les murs mais aussi les trésors intérieurs, objets, mobilier, peintures, sculptures. Voutes effondrées, charpentes brûlées, flèche fondue n'empêcheront pas de nouvelles fouilles archéologiques ou la (re) découverte de peintures murales. Notre-Dame a été souvent remaniée au cours des siècles, au 18e siècle, au XIXe (les apports majeurs de Violet-Leduc souvent remis au cause aujourd'hui), au siècle dernier, dans les années 60, avec des recouvrements contestables. Sans jeux de mots, toutes les polémiques ne sont pas éteintes. Nous avons échappé au pire avec cette proposition de flèche au dessin contemporain voire en titane mais que deviendront les vitraux dessinés par Violet-Leduc ? Par volonté du président de la République, une création contemporaine devrait les remplacer. Même si les vitraux déposées seront à terme exposés dans un musée adjacent, l'idée est contestée.
Les abords immédiats de l'édifice, le parvis, les jardins autour, seront aussi à terme autant de chantiers à surveiller. Le fait qu'ils relèvent de la mairie de Paris ne rassure pas l'auteur. Son livre reprend toutes les alertes qu'il lance régulièrement dans La Tribune de l'Art . L'autre morceau de choix sera la création à terme d'un Musée de l'Oeuvre, un lieu d'exposition et d'études pour tous les éléments artistiques récupérés, sauvés voire exhumées tout au long du chantier (par exemple, les éléments de l'ancien jubé de pierre détruit et enfoui sous l'édifice). Il pourrait s'ouvrir dans les bâtiments de l'Hotel-Dieu tout proche et propriété de l'AP-HP. Le réaménagement de l'IIe de la Cité sera d'autant plus à suivre que d'autres de ses bâtiments emblématiques (La Préfecture de Police de Paris et le Palais de Justice) vont être également restructurés.
L'Incendie de Notre-Dame qui s'est déclaré alors que des travaux de rénovation se déroulaient permettra-t-il une prise de conscience plus large sur les enjeux de la protection de notre patrimoine historique ? Il existe désormais un plan Cathédrale visant à les auditer toutes. Il faudra faire évoluer les dispositifs de sécurité, les matériels d'intervention, le cadre réglementaire. Mettre des moyens supplémentaires (des protections en amont plutôt que des interventions de secours). Les véritables causes de l'incendie ne se situent pas dans l'embrasement d'une poutre mais dans un manque d'attention au bâti qui nous entoure. Ce livre fouille en détail toutes nos insuffisances et les révèle. Pas seulement celles des administrations ou des élus mais les nôtres. Si nous étions plus conscients, nous ne laisserions pas faire.
Extrait
" La question de la restauration à l'identique de la flèche ou de son remplacement par un « geste architectural » a été, on le sait, finalement tranchée par le choix de la première solution. Il s'agit désormais d'une évidence, et il n'y a pas grand monde pour regretter que l'on n'ait pas utilisé l'argument de l'incendie pour changer totalement l'aspect de ce monument. Ce qui est étonnant n'est pas que la raison ait finalement prévalu, mais que la déraison ait pu aller aussi loin.
L'incendie de Notre-Dame aurait dû entraîner une union nationale autour d'un seul objectif. Il a été le prétexte d'une polémique, débats dont la France est si friande.
Les raisons pour lesquelles le président de la République a finalement tranché, le 9 juillet 2020, pour une reconstitution à l'identique' sont multiples. Il y a eu, d'abord, la mobilisation de la communauté scientifique internationale, qui s'est traduite par une lettre ouverte adressée à Emmanuel Macron, parue dans Le Figaro du 19 avril 2019 et publiée d'abord sur son site Internet. Elle ne réunissait pas moins de 1 170 noms de personnalités françaises et étrangères.
Rédigée à l'initiative d'une poignée de conservateurs et d'universitaires, dans le plus grand secret pour éviter notamment toute pression de leur hiérarchie, cette pétition était quasiment une première dans l'histoire culturelle de la France. Soumis de manière drastique et souvent très excessive à un « devoir de réserve» qui n'existe pas dans la loi et qui n'est qu'une création jurisprudentielle, les fonctionnaires du ministère de la Culture ont le culte du silence. Il est excessivement rare qu'ils s'expriment publiquement, et encore davantage en faisant suivre leur nom de leur titre. Seuls les universitaires ont traditionnellement une totale liberté d'expression, mais les conservateurs et les employés du ministère prennent un vrai risque en parlant librement, au moins celui de voir leur carrière arrêtée net.
Cette omerta est telle qu'une journaliste qui m'interviewait un jour, et qui avait travaillé auparavant sur les questions de l'énergie nucléaire, m'expliquait qu'elle ne s'y était jamais heurtée à une opacité comparable à ce qu'elle constatait dans le milieu de la culture, ni à un tel refus de communiquer. L'importance de l'enjeu et l'énormité de ce qui se préparait à Notre-Dame avaient persuadé les signataires de réaliser ce qui était impensable encore quelques jours plus tôt : une fronde du monde du patrimoine contre le pouvoir politique. »