Le bateau blanc
Publié le vendredi 04 avril 2025
Un petit territoire, de grands voisins mal intentionnés et l'histoire se répète
Le bateau blanc désigne ce bateau mythique pour tous les Estoniens rassemblés dans le port de Tallin en septemtre 1944 dans l'attente d'un embarquement vers la Suède, au moment les armées Allemandes fuient elles aussi le pays alors que l'Armée rouge progresse dans les faubourgs de la ville. Le bateau fait plusieurs allers-retours. Puis plus. C'est ce que l'on comprend au fil des chapitres. L'auteur suit le destin d'un ancien premier ministre, l'avocat Otto Tief, qui revient aux affaires pour organiser la continuité du pays, la réaffirmation de sa volonté d'indépendance, et ne voulant être soumis ni aux Allemands ni aux Russes. Pourtant les tentations existent en faveur des deux camps, les histoires comme les frontières sont très proches.
L'auteur multiplie les allers-retours dans le temps : 1934, un état d'urgence décrété, selon ses instigateurs, pour s'opposer à des forces nationalistes, sauvegarder une république démocratique, 1939, la proposition faîte par Staline d'un "traité d'assistance mutuelle". Une "alliance" sous contrôle qui sera dynamitée si l'on peut dire par la rupture de l'axe germano-russe et l'invasion Allemande. En 1944, les Russes remontent à l'assaut. Nous suivrons tous les méandres de cette "libération" invasive. L'Estonie tombera dans l'escarcelle du grand voisin et son régime communiste. Otto Tief sera séparé de sa famille, elle-même réfugiée en Suède et traquée par le KGB. Il sera arrêté en Estonie, détenu dix ans en Russie, le goulag déjà, puis exilé sept ans en Ukraine. Un destin tragique mais nombre aussi de ses partenaires politiques y perdront la vie. Ou comment tout un peuple et son élite vont subir un implacable diktat. Après le glacis Russe, la glasnot des années 1985-1986, la sortie du bloc Soviétique, l'entrée dans l'Union européenne et l'Otan, l'histoire se répètera-t-elle ?
Le vie et le destin de l'avocat Otto Tief sert de fil conducteur au récit de Xavier Bouvet dont le livre fait aussi écho à celui d'Olivier Norek, Les Guerriers de l'hiver. Même trame historique. En 1939, l'URSS veut élargir sa zone de sécurité aux frontières de son pays, la Finlande toute proche qui est déjà visée par l'Allemagne. Mensonges et manipulations russes, résistance des dirigeants finlandais déjà rompues aux mauvais arguments de leurs voisins, tout est raconté par le menu mais le livre suit aussi le destin de quatre jeunes villageois finlandais, mobilisés dans ce conflit qui s'annonce, et celui en particulier de Simo Häyhä, la Mort blanche, le surnom que lui ont donné les soldats Russes parce que devenu tireur d'élite exceptionnel, il a décimé leurs rangs dans les lacs, marais et autres forêts de son pays. A noter que les Finlandais dans leur conflit avec les Russes ont reçu l'appui de volontaires Estoniens. La boucle est bouclée.
Deux livres, deux pays, deux destins, deux histoires vraies mais un seul combat, celui de la liberté. Tous ces événements racontés ne doivent rien au hasard. L'histoire se poursuit aujourd'hui. Depuis l'invasion par la Russie de l'Ukraine en 2022, la Suède et la Finlande sont entrées dans l'Otan, les pays Baltes redoutent d'être les prochaines cibles et la Russie parlent toujours de son fameux périmètre de sécurité en faisant fi de celles de ses voisins.
Extrait
« N'ayez pas peur, Cet accord d'assistance avec l'Union soviétique ne représente aucune menace, Nous n'avons pas l'intention d'affecter votre souveraineté, Nous n'allons pas imposer le communisme à votre pays. L'Estonie maintiendra son indépendance, son gouvernement, son parlement, sa politique étrangère et intérieure, son armée et son système économique. Nous ne toucherons à rien de tout cela », a dit Molotov à Rei, l'ambassadeur estonien à Moscou.
« Ce sera un Traité d'Assistance Mutuelle, posons-le en ces termes », a précisé le chef du gouvernement soviétique, commissaire du peuple aux Affaires étrangères de l’URSS. « Un accord commercial, une alliance militaire, une marque d'amitié en somme. »
Tallinn a initialement accepté le principe de accord qui permettrait d'augmenter de 350% les exportations de marchandises vers l'URSS. C'est imaginer que l'alliance contre-nature du Reich allemand et de l'Union soviétique serait encore supportable, en conservant des relations précaires de part et d'autre. On ignore alors que les clauses secrètes du pacte entre Molotov et Ribbentrop actent l'abandon des pays baltes à Moscou. Six mois plus tôt, Litvinov cherchait déjà à négocier en ces termes avec Paris et Londres plutôt qu'avec Berlin. L'Estonie dans ce grand jeu est devenue monnaie d'échange Quand les divisions allemandes entrent en Pologne, le doute n'est plus permis : l'Union soviétique attaque à son tour le 17 septembre une nation dépecée par l'Allemagne hitlérienne.
Le changement de ton des Soviétiques avec les Estoniens n'a pas tardé. À Moscou, on s'indigne aujourd'hui de l'évasion d'un sous-marin polonais jusqu'alors à quai à Tallinn, l'Orzel. Molotov, Mikoian et la meute rassemblée derrière eux cessent de taire semblant. Il est désormais question d'ajouter au futur traité la cession de bases militaires en Estonie. Malgré ses paroles apaisantes, Molotov, suivant les clauses secrètes du pacte germano-soviétique, exige bien de Tallinn l'allégeance d'un vassal à son suzerain. Afin de se faire comprendre, Moscou envoie des avions de reconnaissance dans l'espace aérien estonien. Le 21 septembre 1939, un destroyer tire à blanc au large de Loksa, exercice de routine. Le lendemain, un sous-marin soviétique fait brutalement surface aux côtés d'un ferry sur la ligne Tallinn-Helsinki, émergeant d'une vague d'écumes sous le regard médusé de centaines de passagers. »