Littérature française

Le serment des barbares

Publié le vendredi 28 février 2025

Le serment des barbares, c'est un premier livre et sans doute, comme dans tous les premiers ouvrages, l'auteur n'a pu résister à une envie de tout dire, de tout montrer, de tout déployer des forces qui l'ont poussé à écrire. il a son héros, un commissaire en fin de carrière, flic désabusé, qui exerce dans une ville de la banlieue d'Alger, devenue presque un quartier au fur et à mesure du développement - anarchique - du pays. Le point de départ de l'enquête, c'est celui d'un double homicide, sans lien apparent entre eux. Les deux victimes sont portées en terre le même jour. Et même dans la mort - ou surtout dans la mort - l'inégalité de leur condition ressort. L'un est un travailleur émigré rentré depuis peu au pays - chargé peut-être pour ses vieux jours d'entretenir la mémoire d'une famille française ayant quitté le pays après l'Indépendance - et l'autre un riche entrepreneur du bâtiment, proche du pouvoir - et des révolutionnaires de l'époque - et dont on devine qu'il a profité de grands chantier de construction.

Boualem Sansal revient sans cesse au fil des pages sur la guerre d'indépendance du pays, ces faux-semblants, ces chassés-croisés, les calculs de ses dirigeants, la figure d'un Dictateur - avec un D majuscule mais jamais nommé, il y en a eu plusieurs -, le fatalisme des populations malgré des mouvements de manifestations dans les années 90, celles de la fameuse décennie noire et bien avant le Hirak des années 2020-2021, l'impuissance des institutions et la montée de l'islamisme. L'écrivain dénonce dans un même ensemble, un pouvoir corrompu, des mafias locales et des religieux eux-mêmes compromis.

Le lecteur est emporté par la puissance de la langue, le lyrisme de l'auteur, son intransigeance, une syntaxe inventive parfois déroutante que l'on retrouvera plus maîtrisée dans les romans qui suivront, Le village de l'Allemand ou encore Rue Darwin. Le personnage du commissaire Larbi est un prétexte. La résolution de l'enquête jusqu'à son point d'orgue tient plus de la démonstration, de la dénonciation d'une société qui se délite que du dévoilement d'indices. Ce n'est pas un roman policier, c'est un livre d'histoire. A noter aussi que de façon délicate est évoquée toute la mosaïque d'un pays constituée de diverses populations au cours des temps qu'elles soient algériennes, arabes, berbères, musulmanes, chrétiennes, françaises un temps. Les vieilles pierres qui parsèment le pays sont romaines, ottomanes, françaises, algériennes. Elles conservent pour l'éternité des mémoires communes. Algériens et Français en sont les gardiens. Puissent-ils cesser de se déchirer. N'enfermez pas les écrivains. Ils nous relient.


Extrait

« Ce furent d'éminents universitaires, de prestigieux docteurs, d'honorables imams, de hauts fonctionnaires blancs comme neige, reconnus pour leur compétence et leur pugnacité à dénoncer la junte. Ce furent des poètes; la dernière petite poignée; le Dictateur avait oublié de les éteindre; ils vivotaient à la marge, à mots couverts, et ne faisaient de tort qu'à eux-mêmes. Leur liquidation fut perçue comme le couronnement de l'innommable, le point d'orgue d'une infamie savamment programmée. On lut leurs livres comme on dévore un testament. On découvrit qu'ils avaient le don de vision et l'art de dire; on fut forcé, non sans respect, de reconnaître que les fous le savaient sans les avoir lus et qu'ils avaient pris de vitesse les légataires nonchalants. »