Première ligne
Publié le vendredi 28 février 2025
C'est drôle et piquant à la fois. L'image d'un malheureux auteur qui a souffert sang et eau - c'est le cas de le dire - pour porter son manuscrit et finir en éclaboussant d'un coup de pistolet le tapis et le mur d'un non moins malheureux éditeur. Ce prétexte ne désespère pas le lecteur de vouloir découvrir la suite. Pourquoi l'impétrant écrivain aurait-il du renoncer à cette mauvaise manie, l'écriture ? Pire, l'écriture de sa vie ! Car l'auto-fiction, voilà l'ennemie ! Le défaut de prétention, le défaut d'imagination, le piège des mauvaises formules et des écrits approximatifs. Cette fièvre aussi qui saisit les éditeurs de publier à tout prix. Produire, produire, il en restera toujours quelque chose, éditer pour vendre mais à la fin, la littérature dans tout ça ?
L'idée est amusante de ce club des "Auteurs Anonymes" réunit sans une obscure arrière-salle d'un café dans le quartier des éditeurs parisiens. La parole censée délivrée de ces envies irrépressibles de raconter sa vie. Certains renoncent, d'autres replongent. Incompris la plupart du temps de leurs proches. Le lecteur ressent les deux souffrances, celle des malheureux poussés à ravaler leurs états d'âmes, celle des éditeurs qui se demandent comment dire non et une fois prononcé l'irrémédiable sentence, culpabilisent...
C'est d'autant plus piquant que Jean-Marie Laclavetine est éditeur chez Gallimard. Il appartient au comité de lecture. Il reçoit des manuscrits et de son avis dépend une parution, un avenir pour un écrivain en herbe. A l'origine, c'est aussi un auteur qui a lui-même abondé dans ... l'auto-fiction. Un peu de mauvaise foi alors ? Mais certains ont du talent, d'autres pas... Le lecteur jugera. Jean-Marie Laclavetine, c'est aussi lui qui a reçu par La Poste un manuscrit d'un certain... Boualem Sansal. Un éblouissement, il l'a dit. Avec le succès que l'on sait. Heureux écrivain. Heureux lecteurs. Heureux éditeur. Il lui sera pardonné cette charge sur cette envie universelle de vouloir raconter sa vie, son oeuvre. L'écriture n'en a pas le monopole. L'époque est bien au narcissisme sous toute ses formes.
Extrait
« L'écriture, c'est comme l'armée : on y retrouve tout le monde. Des avocats, des secrétaires, des maçons, des boulangères, des critiques littéraires, des énarques, des politiciens, des ingénieurs agronomes, des fils de famille, des vagabonds, et même quelques écrivains.
Tous avec une montagne sur le cœur, un secret précieux, un vague à l'âme couleur perle, une vérité infime ou majuscule, une petite apocalypse, qui sait, dans la vie d'un lecteur futur. Mais plus probablement rien.
Rien, pour l'immense majorité des lexicamanes. Le silence étonné, un peu gêné, de la famille et des proches. Les regards navrés, comme si vous aviez un cancer — laissez votre mère tranquille, les enfants, Maman écrit, elle ira mieux après. Mais non ce n'est pas grave.
Les bons amis qui enfoncent le couteau dans la plaie. Toujours pas de réponse? Si ? Ah. Mon pauvre. Grasset aussi ? Si tu étais journaliste, va, ils t'auraient déroulé le tapis rouge. Ça ne fait jamais que cinq, après tout. Des éditeurs, il y en a d'autres. Et pourquoi tu n'essaierais pas le dessin ? C'est bien aussi, le dessin, ça calme. »