L'éditeur présomptueux ou comment un petit éditeur indépendant rencontre le succès
Publié le lundi 06 janvier 2025
L'incontournable savoir-faire de l'éditeur
C'est dans les toutes dernières pages de son livre que Sando Ferri raconte son expérience initiale de libraire... Bien avant de devenir éditeur, il a ouvert avec deux amis à Rome, dans un improbable local donnant sur une petite placette à deux pas de la place Navone une librairie. LIvres, affiches, disques, on y trouvait de tout. C'était aussi in espace culturel qui accueillait plus de visiteurs que de clients... L'enthousiasme, la foi du charbonnier ne font pas vivre. Il y a perdu des amis et beaucoup d'argent. Mais sans pour autant renoncer aux livres. Et se lancer directement dans l'édition. En 1979.
Là encore, des prises de risque, des choix difficiles, des résultats aléatoires, de l'équilibrisme financier de haute volée, et au bout du compte, une certaine réussite. Y compris une double implantation internationale, en 2005, avec Europa Editions à New-York, puis Europa Editions UK en 2011. Aujourd'hui, Sando Ferro et Sandra Ozzola laissent à leur fille Eva le soin de poursuivre l'aventure.
Entre temps, il y a eu les livres édités en provenance des pays de l'Est (qui franchissaient peu à peu le glacis du Mur), une collaboration étroite depuis Prague avec Milan Kundera avant qu'il n'écrive L'insoutenable légèreté de l'être, la découverte d'Elsa Ferrante (L'amie prodigieuse), les traductions italiennes d'auteurs français (Muriel Berbery, Eric-Emmanuel Schmitt, Jean-Claude Izzo, etc.), les auteurs italiens bien sûr.
Sando Ferri raconte les coulisses, les banques, les grands éditeurs concurrents, les foires aux livres, les négociations de droits étrangers, les agents littéraires, les agents commerciaux, les stocks de livres dans les bureaux, sa bête noire, les outils marketings, ceux supposés vous aider à mieux vendre... mais qui ne vous disent rien du comment choisir sinon le best seller, l'auteur et le titre qui vous feront gagner (un peu) d'argent.
Sandi Feri se définit comme un "éditeur-sujet". Traduction un éditeur de vocation véritable. Qui exprime un goût, des préférences, des choix. Envers et contre tous. Un message enfin à ceux qui sont tentés par les plateformes d'édition (vous savez qui...) et donc l'auto-édition. Comment remplacer ce regard extérieur de l'éditeur, le savoir-faire de ses équipes (secrétaires d'édition, relecteurs, traducteurs, graphistes, commerciaux, etc.) capables tous ensemble de porter sur les fronts baptismaux un livre qui sinon resterait à l'état de vague projet ?
Dans un court chapitre de deux pags (Pilules de sagesse à l'usage des futurs "éditeurs-sujets", Sandro Ferri livre quelques conseils. Le premier : Ne publiez que des livres qui vous plaisent. Un second : Ne publiez que des livres qui vous plaisent, mais faites en sorte de ne pas perdre d'argent. Le reste est à découvrir...
Extrait
« Soyons clairs tout de suite : je ne pense absolument pas que le public qui ne place pas la littérature parmi ses principaux centres d'intérêt soit d'un point de vue civil, moral ou culturel inférieur aux élites qui lisent beaucoup. Il est tout simplement différent, il achète et lit moins de livres, mais il n'est pas pour autant moins intelligent, moins curieux ou socialement moins engagé. […]
« Siddhartha, L'insoutenable légèreté de l'être, Cent ans de solitude, Le guépard, Le nom de la rose, L'amie prodigieuse, Harry Potter - pour ne citer que quelques best-sellers (mués ensuite en long-sellers, c'est-à-dire des titres qui continuent à se vendre pendant des années voire des décennies) - ne seraient pas devenus aussi « légendaires» s'ils n'étaient pas arrivés jusqu'au grand bassin de ces lecteurs dits « faibles».
De quoi est fait un livre de ce genre, comment a-t-il été créé? personne n'a jamais su l'expliquer. Cela reste un mystère. Son succès n'est pas reproductible. (C'est là d'ailleurs une des limites à la croissance quantitative de l'industrie éditoriale, car mis à part l'évidence du constat qu'un même livre ne peut être lu plus d'une, deux ou cinq fois - contrairement à d'autres produits tels que les boissons ou les vêtements, pouvant être consommés des centaines de fois par les mêmes personnes - il est également bien plus difficile dans notre secteur de produire des «variantes» capables de répliquer le succès du best-seller, alors que c'est de manière générale plus facile dans d'autres secteurs industriels.)
Procurer du plaisir à un si grand nombre de personnes est l'un des privilèges du métier d'éditeur. Si le livre le plus apprécié par un grand nombre de lecteurs n'est pas nécessairement le meilleur ni même notre préféré, recevoir une réponse positive de la part d'autant de personnes procure une satisfaction immense, Cela nous porte à croire que nous pouvons avoir une incidence sur la réalité, stimuler si ce n'est véritablement influencer le goût et les idées des lecteurs, offrir à un grand nombre de personnes du divertissement, des idées, des frissons, des émotions fortes, des mouvements de l'âme, Aussi vrai que le publie décide du succès d'un livre et que l'auteur crée l'œuvre, le mérite de l'éditeur est d'avoir contribué a rendre cette rencontre possible. »